Appel à communications > Argumentaire et axes

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Argumentaire: 

Instaurées depuis le XVIIe siècle en Europe, les limites des frontières divisent des espaces voisins à partir d’une organisation internationale qui se structure autour d’États-nations souverains. Les travaux pluridisciplinaires, voire interdisciplinaires, dans le cadre des border studies, démontrent une re-configuration importante des frontières dans le monde vers les années 1980 et 1990[1]. S’agissant de l’Union européenne (UE) deux politiques essentielles sont soulevées par les european studies sur les frontières[2] : celle du marché intérieur européen permettant la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux (Traité de Rome, 1957), puis celle de coopération territoriale européenne avec des structures dédiées à une échelle régionale censées contribuer à renforcer l’intégration européenne. Ces transformations conséquentes permettent d’interroger les enjeux politiques, sociaux, économiques et culturels des frontières à l’intérieur d’une « UE qui cherche à construire un sentiment d’appartenance à une communauté supranationale » (p. 84)[3]. Dans ce contexte, les espaces frontaliers en Europe sont envisagés comme des espaces modèles pour une politique de cohésion territoriale et comme des « laboratoires de l’intégration européenne »[4].

Parmi les activités transnationales susceptibles de créer une « citoyenneté européenne » et une communauté imaginée[5], le sport est souvent présenté comme l’un des principaux vecteurs d’européanisation des citoyens[6]. Comment cet objectif se concrétise-t-il dans des espaces transfrontaliers construits par l’action publique pour favoriser l’échange et le lien culturel à travers le sport ? Le sport relevant d’organisations, de compétences et de législations nationales, comment s’organisent ces échanges et dans quel cadre juridique et politique ? Au-delà d’une définition restreinte et institutionnelle du sport, il convient de considérer les activités physiques, sportives et de loisirs au sens large (en incluant les pratiques physiques, sportives, récréatives, touristiques, ludiques ou corporelles), pratiquées dans un cadre organisé en club et/ou dans les équipements sportifs (football, tennis, judo, etc.) ou de manière auto-organisée dans des espaces transfrontaliers aménagés ou non pour la pratique (surf, randonnée, plaisance, etc.).

Les enquêtes européennes ne permettent pas d’identifier précisément les pratiques sportives et de loisirs transfrontalières, ni leurs enjeux dans différents espaces et structures transfrontaliers[7]. Or, elles révèlent que la langue s’avère l’obstacle le plus important [8]. Dès lors, quelle est la réalité de ces pratiques transfrontalières ? Les mobilités sportives et de loisirs transfrontalières dépendent-elles de l’échelle géographique des territoires que les pratiquants traversent, d’une structuration ou gouvernance européenne précise ou alors des représentations ou rapports des pratiquants à la frontière et/ou aux pays voisins ? La coopération sportive et de loisir de part et d’autre de la frontière est-elle facilitée en se passant de compétences linguistiques ? In fine, ces pratiques contribuent-elles au processus de re-territorialisation et à une forme d’européanisation singulière ?

Ce colloque a pour objet de faire un état des lieux des recherches existantes sur les sports et les loisirs transfrontaliers au sein de l’Union européenne et, plus largement, dans d’autres régions du monde. La dimension européenne est au centre du colloque, mais des communications relatives à d’autres régions du monde, notamment dans une visée comparative, sont également possibles. Se voulant ouvert à différentes approches, le colloque a une vocation interdisciplinaire.

 

Thématiques et axes du colloque:

Les communications proposées pourront autant traiter des pratiques, usages et objectifs du transfrontalier (par exemple la citoyenneté transfrontalière, transnationale, eurorégionale, européenne, mondiale) que des représentations de la frontière et des catégories de penser le transfrontalier diffusées par les acteurs institutionnels ou non institutionnels.

 

Concrètement, le colloque sera structuré autour de trois axes :

Axe 1) Action publique transfrontalière dans le domaine des sports et des loisirs. Il s’agira dans cet axe d’analyser les structures, les acteurs et les systèmes d’offre sportive transfrontalière (dont les Groupements Européens de Coopération Territoriale dans l’UE) avec les règlements, la coopération institutionnelle, la gestion des ressources et les financements. Comment se caractérise la gouvernance du sport transfrontalier dans ces structures européennes et, éventuellement, dans celles d’autres régions du monde ?

Nous considérons l’action publique comme l’ensemble des relations, des pratiques et des représentations qui concourent à la production politiquement légitimée de modes de régulation des rapports sociaux[9]. Comme tout objet social, l’action publique dans les domaines des sports et des loisirs doit ainsi être analysée comme le produit de relations entre espaces distincts (associations, collectivités, États, structures transfrontalières, entreprises, etc.). L’espace sportif transfrontalier peut ainsi être analysé comme un double espace : de coopération institutionnelle, d’une part, et transnational, d’autre part, c’est-à-dire, comme un espace qui fonctionne par-delà les frontières nationales sans être organisé par une instance.

Axe 2) Usages des espaces, équipements et aménagements sportifs ouverts aux citoyens de part et d’autre de la frontière (clubs, équipements, sites, itinéraires) et participation à des actions sportives et de loisirs portées ou soutenues par les structures de coopération territoriale transnationale avec une intention de développement transfrontalier. Qui sont ces pratiquants (habitants de voisinage, élèves d’établissement scolaire ou sportifs affiliés aux clubs de part et d’autre de la frontière, touristes, travailleurs transfrontaliers, etc.) ? Comment se saisissent-ils des dispositifs programmés par les structures de coopération territoriale transnationale(ex. les Groupements Européens de Coopération Territoriale en Europe) ? Quels sont les effets de ces derniers sur les populations ? Qu’en est-il dans d’autres régions transfrontalières du monde ?

La mobilité transfrontalière pour le sport et les loisirs ne peut être uniquement analysée dans sa dimension spatiale, mais doit également être ancrée dans le social en prenant en compte les caractéristiques des individus et leurs expériences socialisatrices[10] pouvant être constitutives d’un « habitus mobilitaire »[11]. Les diverses et multiples socialisations à la mobilité augmentent donc « l’espace des possibles » des modalités de pratiques touristiques et de loisirs[12]

Axe 3) Entrepreneurs transfrontaliers dans le domaine des sports et des loisirs. Qui sont les acteurs « passeurs de frontière » qui « se jouent » des frontières étatiques pour initier des activités et porter des projets sportifs de part et d’autre de celles-ci ? Quelles sont leurs ressources et leurs raisons de porter des projets qui dépassent les frontières ? Comment se construisent historiquement les échanges sportifs dans ces espaces ?

Considérant l’importance des acteurs dans la fabrication des pratiques et des projets transfrontaliers, dans l’histoire des organisations et des institutions en charge de la coopération transfrontalière, sinon plus largement dans la construction européenne à l’échelle locale[13], ce troisième axe porte sur les porteurs de projet, parfois militants du transfrontalier, leaders politiques, économiques ou culturels du fait transfrontalier dans le domaine du sport, des loisirs et du tourisme.

Les propositions pourront s’écarter de la terminologie littérale de l’entrepreneur « chef d'entreprise » pour élargir le concept à d’autres approches comme, par exemple, celle d’entrepreneur de morale chez Becker[14]. Il s’agit notamment soit d’acteurs disposant d’une certaine expérience, que l’on peut nommer des « acteurs pionniers » qui ont été les premiers à mettre en place des coopérations transfrontalières sur un territoire donné, soit, parmi les plus jeunes, ceux qui apparaissent comme des « acteurs-clefs » de la coopération transfrontalière pour le sport et les loisirs à une échelle locale ou nationale.

Les propositions de communication qui ne se retrouvent pas dans ces trois axes mais qui abordent une dimension des sports et des loisirs transfrontaliers en Europe ou dans le monde seront également expertisées.



Bibliographie:

[1] Wilson, T.M. and Donnan, H.(2012). A Companion to Border Studies. Ville : Blackwell Publishing Ltd.

[2] Exadaktylos, T., & Radaelli, C. (Eds.). (2012). Research design in European studies: establishing causality in Europeanization. Hampshire : Springer.

[3] Wesley Scott, J. (2012). European Politics of Borders, Border Symbolism and Cross-Border Cooperation. In Thomas M. Wilson and Hastings Donnan, A Companion to Border Studies. Ville : Blackwell Publishing Ltd.

[4] Wassenberg B. (2010), Vivre et penser la cooperation transfrontaliere: Les Regions Frontalieres Francaises, Franz Steiner Verlag Wiesbaden GmbH.

[5] Anderson, B. (1996). Imagined Communities. Reflections on the Origins and Spread of Nationalism. London : verso.

[6] Gasparini, W. (2011). Un sport européen ? Savoir/agir, 1, 49-57 ; Gasparini W. (2017), L’Europe du football. Socio-histoire d’une construction européenne, Presses Universitaires de Strasbourg ; Gasparini, W. (2019), « Le Conseil de l’Europe et le sport : genèse et circulation d’un modèle sportif européen », Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l'Europe, LabEx ENHE [en ligne], ISSN 2677-6588.

[7] European Commission. (2018). Special Eurobarometer 472: Sport and Physical Activity Fieldwork. Report 2017. European Union : Publication Survey Report. doi:10.2766/483047

[8] European Union (2015). Flash Eurobarometer 422 “Cross-border cooperation in the EU”- Aggregate report, DOI : 10.2776/959925

[9] Voir Dubois Vincent, « L'action publique », dans Cohen Antonin, Lacroix Bernard, Riutord Philippe (dir.), Nouveau manuel de science politique, La Découverte, 2009, p. 311-325.

[10] Lahire, Bernard. 2012. Monde pluriel. Penser l’unité des sciences sociales. Paris : Le Seuil.

[11] Stock, Mathis. 2005. « Les sociétés à individus mobiles : vers un nouveau mode d’habiter ? » EspacesTemps.net Revue électronique des sciences humaines et sociales., mai. https://www.espacestemps.net/articles/societes-individus-mobiles/.

[12] Guibert Christophe (2016), « Les déterminants dispositionnels du « touriste pluriel ». Expériences, socialisations et contextes », SociologieS. http://journals.openedition.org/sociologies/5688.

[13] Amilhat-Szary, A.-L. & Fourny, M.-C. (Eds.). (2006). Après les frontières, avec la frontière. Nouvelles dynamiques transfrontalières en Europe. La Tour d'Aigues: L'Aube ; Camiade, M. & Wassenberg, B. (2017). La coopération transfrontalière en Europe : au-delà des cicatrices de l’Histoire. Numéro de la Revista RECERC, hors-série 1, http://recerc.eu/ ; Morata, F. (1995). L'Eurorégion et le réseau C-6 : l'émergence du suprarégionalisme en Europe du Sud ? Pôle Sud, 3(1), pp. 117-127 ; Scott, J. W. (1999). European and North American Contexts for Cross-border Regionalism. Regional Studies, 33(7), pp. 605-617.

[14] Becker H.S., [1963] 1985, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié.

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